Comparé aux arts martiaux les plus classiques (karaté, kung-fu et taekwondo), la discipline de combat thaïlandaise offre plusieurs différences. S’il s’agit dans tous les cas de coups de pied et de poing… La forme sportive des arts martiaux traditionnels privilégie encore le contrôle total ou partiel des coups. Ainsi que le jugement sportif résulte en outre de la somme des points de diverse valeur obtenus par l’athlète chaque fois qu’il réalise une technique régulière.
Cela signifie que le duel est interrompu dès qu’un coup jugé valable est porté. Le contrôle du coup fait bien entendu glisser le critère d’évaluation de la puissance pure à l’efficacité virtuelle, appréciée surtout en fonction de la précision. Dans la boxe thaïe, en revanche, les juges non seulement ne suspendent pas le combat, mais attribuent un score cumulatif à l’issue de chaque reprise… Suivant l’impression que le boxeur a donnée de lui pendant l’affrontement.
L’efficacité des coups constitue le seul critère d’évaluation. Dans certains cas, néanmoins (spécialement en Thaïlande), on récompense l’athlète qui, malgré les coups encaissés, continue d’avancer. Il s’agit de toute évidence de deux philosophies sportives en opposition très nette. La boxe thaïe a développé une technique spécifique et une méthode d’entrainement en suivant la voie imposée, essentiellement, par sa version sportive.
Le cérémonial traditionnel
La boxe thaïe se caractérise par son côté extrêmement pratique, informel… À l’inverse de nombreux arts martiaux aux cérémonials et aux attitudes formelles. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’une discipline fruste où les athlètes s’affrontent sans aucune noblesse, comme dans une vulgaire bagarre. Sportif avant tout, le boxeur thaï monte entre les quatre cordes pour se mesurer dans le cadre d’un combat rude mais non dépourvu de règles, en respectant aussi bien son adversaire que les juges de compétition. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la boxe thaïe est issue de l’évolution des arts martiaux siamois.
Elle conserve, en particulier dans sa patrie d’origine, beaucoup de traditions s’inspirant de la religion bouddhiste Terevandrin et des croyances locales. Le peuple thaïlandais croit en effet fortement aux esprits et à leur influence sur toutes les activités humaines. En Thaïlande, quiconque exerce un métier dangereux a souvent recours à des talismans et des tatouages pour conjurer l’envie et la méchanceté des Phi, les esprits mauvais. Il est donc logique qu’une discipline aussi dure et, la plupart du temps, risquée que la boxe thaïlandaise s’accompagne de nombreux rituels propitiatoires.
Le wai
Le wai est le salut thaïlandais typique, que de nombreux athlètes occidentaux ont également adopté… Moyennant quoi le combattant invoque l’aide des bons esprits. À peine monté sur le ring, le boxeur thaï s’agenouille au centre de l’aire de combat… Et, les mains jointes sur le visage, il accomplit le cérémonial wai kruh. Après le salut à genoux, le wai kruh se poursuit par un rapide tour du ring. L’athlète, tête baissée, parcourt le terrain de lutte dans le sens des aiguilles d’une montre… En gardant sa main droite sur la corde supérieure et en passant, dans chaque coin, ses deux gants de boxe sur le revêtement du montant métallique auquel les cordes sont fixées… En tapant ensuite trois fois du pied par terre pour écraser les esprits.
Le ram muay
Le tour une fois terminé, il entame la danse rituelle, ou ram muay… Qui, comme elle apparait aux yeux des profanes, est un mélange de prière et de mouvements préparatoires exécutés dans les quatre directions. Pendant cette phase, qui peut durer plusieurs minutes et s’accompagne, à l’instar du combat, d’une musique spécifique, le boxeur sint le mongkon, un serre-tête. Ce serre tête constitué d’une corde colorée dont le combattant s’entoure le front et que l’entraineur retire avant le début du match proprement dit. Cette séquence, dans laquelle l’athlète intègre des attitudes et des gestes varient d’une école à l’autre, et même d’un combattant à l’autre. Elle ne doit pas être considérée comme une forme ou un kata, assimilable aux enchainements de coups réalisés dans d’autres arts martiaux. Son but, purement rituel, consiste à conjurer le mauvais sort, au point que les mouvements ne rappellent souvent en rien la technique.
Les gestes pour intimider l’adversaire
Il nous est arrivé de voir des boxeurs qui faisaient semblant de creuser une tombe devant leur adversaire pour l’effrayer… Ou, tel Adriano Mazzini, qui mimaient le tir de flèches imaginaires contre le coin ennemi. Mais les gestes à caractère superstitieux ne s’arrêtent pas là, car il existe mille petits rituels entre l’entraineur et le boxeur. Ces rituels sont accomplis lors des intervalles et avant de commencer les différents rounds.
Master Toddy, l’un des coachs thaïlandais les plus appréciés qui s’est installé depuis de nombreuses années en Angleterre, a l’habitude de souffler trois fois dans les yeux de son compétiteur avant le gong initial, toujours afin de le libérer des influences malignes. Nous avons également vu certains coachs thaïlandais frotter vigoureusement les oreilles de leurs athlètes, d’un intervalle du combat l’autre. La pratique consistant à frictionner un point sensible du combattant a aussi pour fonction de provoquer chez lui un état de qui-vive général.
L’importance des rituels
Comme nous l’avons déjà dit, une grande partie des rituels perdent de leur importance quand la boxe thaïe sort de son cadre d’origine. Pour un boxeur non bouddhiste et insensible aux aspects ésotériques de la discipline, le ram muay lui-même peut paraître une répétition inutile de gestes dépourvus de signification. En se diffusant dans le monde, la boxe thaïe s’est en effet adaptée aux différents milieux qui la pratiquent. De nombreux athlètes européens font l’impasse sur le cérémonial sans que cela offense leurs adversaires. Adversaires qui, s’ils en retirent un bénéfice, sont bien entendu parfaitement libres de maintenir la tradition.
Le combat peut commencer
En fin de compte, la phase préparatoire précédant la rencontre équivaut à une sorte de training autogène, dont chaque combattant appréciera l’efficacité. Il est évident qu’un geste de politesse, comme celui consistant à effleurer le gant de l’adversaire avant l’ouverture des hostilités, témoigne toujours d’un esprit sportif. Sans être obligatoire, il garantit somme toute l’intention de s’affronter dans un match régulier à armes égales. Maintenant que nous avons cerné les caractéristiques techniques et les cérémonials de la boxe thaïe, nous pouvons faire notre entrée dans le gymnase et commencer à taper sur le premier sac de frappe qui se présentera..